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"Le fil rouge, je le situerais au niveau de la mort même"

Myriam Muller
Entretien

Liliom, pièce écrite en 1909 par l’écrivain hongrois Ferenc Molnár, raconte l’amour violent entre le bonimenteur de foire Liliom et Julie. En considérant vos dernières mises en scène, Myriam Muller, comme Breaking the Waves et Ivanov, on ne peut s’empêcher de penser qu’un fil rouge de votre travail est : le couple maudit, voire l’amour tragique et meurtrier.

 

Je dirais plutôt que je travaille avant tout les rapports humains, certes violents, au sein de la famille. Le fil rouge, je le situerais au niveau de la mort même. Dans Breaking the Waves et Ivanov, ce que je montre sur scène, ce sont des fantômes. Des personnages qui errent, qui reviennent d’un au-delà. Pour Liliom, c’est pareil.

 

 

Une des thématiques les plus brisantes de la pièce est la violence au sein du couple, la guerre des sexes. La pièce, même si elle a été écrite il y a plus de cent ans, est, à l’ère de #metoo, d’une brûlante actualité. D’où votre intérêt ?

 

Oui, absolument. La thématique de la violence conjugale en fait une pièce à la fois dangereuse et complexe. Liliom est un compte-rendu des méfaits du patriarcat, à la fois en ce qui concerne les hommes, mais également en ce qui concerne les femmes. La violence au sein d’un couple se fait à deux. Et dans une communauté, une société, où, la plupart du temps, tout le monde est au courant, mais personne ne fait rien. Après les révélations de #metoo, on a appris qu’il n’y a jamais eu autant de femmes battues, et le confinement, on le sait, n’a pas aidé. Fondamentalement, l’homme reste toujours l’homme et la femme la femme. Il faut donc plus que jamais, ensemble, essayer de changer la situation. Le personnage de Liliom même est un prétexte pour formuler des questions essentielles: celle du pourquoi de la violence, notamment. Dans Liliom, elle naît d’un manque d’éducation, d’une incapacité à communiquer, d’une absence de mots pour s’exprimer. Le personnage de Liliom est comme un gosse qui se fâche dès qu’il ne réussit plus à s’exprimer. Il est lui aussi une victime de ce patriarcat étouffant. Il ne trouve pas sa place.

En un sens, les hommes y sont à plaindre aussi. Malgré les nouvelles règles posées par la société, sur le comportement des hommes, on leur demande, paradoxalement, toujours et encore, d’être des mecs, de ramener des sous à la maison, d’être forts. Cette pièce montre la nature cyclique du monde, le carrousel de la vie et de la violence qui se répète encore et encore.

 

Vous dites que Liliom est une pièce dangereuse et complexe. Mais c’est aussi une comédie. Est-ce un paradoxe ?

 C’est tout l’attrait de cette pièce, qui, pour moi, est clairement une comédie, tout en dégageant des émotions tragiques fortes. Nous nous situons entre le théâtre de divertissement et une fresque aux propos graves. Mais c’est aussi toute la ques­tion de la forme théâtrale et des publics qu’on veut attirer. Il y a des metteurs en scène qui veulent aller au-devant du public et qui, pour cela, sortent de leurs lieux, font du théâtre dans les quartiers. Je pense, pour ma part, que tout doit pouvoir se dire dans le théâtre même, mais qu’il faut chercher une forme qui permette d’éviter de faire qu’un théâtre qui « prêche les convaincus ». Les pièces qui abordent les sujets de la violence conjugale, ou le mouvement #metoo peuvent avoir un côté trop didactique, trop documentaire. Liliom me permet d’aborder la question par un autre genre, celui de la comédie populaire.

Pour cette pièce, comme pour vos mises en scène précédentes, vous faites appel à une équipe artistique internationale, avec des comédien.ne.s d’ici, dont Sophie Mousel, qu’on n’a plus besoin de présenter, et des comédiens peut-être moins connus au Luxembourg, comme Mathieu Besnard, qui interprète Liliom. C’est un choix (disons plutôt : un geste) inten­tionnel ?

Je cherche avant tout un ensemble. J’aime les pièces chorales, c’est-à-dire j’aime les pièces oùil y a beaucoup de personnages, où les comé­dien.ne.s ont beaucoup à faire et ont tou.te.s une certaine responsabilité. Donc, quand je rassemble mon équipe, je ne pense pas à des vedettes, je pense à des artistes ca­pables de m’aider à raconter une histoire, capables de jouer ensemble, au lieu de s’accaparer les scènes pour leur gloire seule, et de donner du leur aussi. S’il est clair que Sophie Mousel jouit pour l’instant d’une solide renommée au Luxembourg, je travaille avec elle parce qu’elle est à l’écoute, parce qu’elle a un esprit d’équipe.

 

Quel rôle la musique a-t-elle pour vous dans votre travail de mise en scène ?

 

Au niveau dramaturgique, Liliom exige – puisque la pièce joue dans une fête foraine – de la musique live. D’ailleurs, depuis Breaking the Waves, la musique jouée en direct prend une importance grandissante, dans mon travail. Pour ce dernier travail, j’ai donc choisi des comédien.ne.s qui savent tous et toutes manier un instrument. En gros, mon équipe de comédien.ne.s se transforme, sur scène, en un groupe de musique. L’ambiance de la pièce, qui tient par moments du merveilleux, réclame du live.

 

Propos recueillis par Ian de Toffoli pour la création aux Théâtres de la ville au Luxembourg

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