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"J’ai réalisé depuis quelques années en France et à l'étranger une sorte de scan d'une génération qui a entre 18 et 25 ans aujourd’hui. Et c'est juste génial"

Pascal Rambert
Entretien

Quelle est la genèse de la création de Seizeaucentre, pièce que vous avez écrite à l'attention des seize élèves comédien.nes du Studio 7 ?

Pascal Rambert.- C’est à la demande de David Bobée. C'est important de le dire car j’ai dix productions par an à travers le monde et je n’ai pas le temps de faire des travaux d’élèves, si ce n’est pour des amis, comme les dernières productions que j'ai pu faire avec les élèves du TNS pour Stanislas Nordey ou au TNB pour Arthur Nauzyciel. Je connais David depuis 2001 environ. Il a été à la fois danseur, performeur et acteur dans le groupe que j'avais créé entre 2000 et 2007, avant que je prenne la direction du TEG. On a fait, je crois, trois ou quatre spectacles ensemble, et quand j’ai pris la direction du Théâtre de Gennevilliers en 2007, je l’ai invité la première année, parce qu'il montait un texte de Ronan Chéneau dont j'aime beaucoup le travail. C'était déjà le David qu'on connaît aujourd'hui, avec un plateau extrêmement diversifié, avec des danseurs qui venaient déjà du Congo… C'était quelque chose qui était déjà très présent dans sa complexion. Je veux dire que le David que les gens connaissent aujourd’hui, dont ils découvrent le travail, était comme ça il y a 20 ans. Il y avait ce souci qui était là, ces questions-là. Et je me souviens d’After/Before, une de mes productions qu'on avait créée au Festival d'Avignon en 2005, qui avait été absolument un scandale national, voire international. Et David a été celui qui a décidé, sans que je ne demande rien, de monter au créneau, de répondre aux critiques... Je veux dire par là que c'est vraiment quelqu'un qui a toujours été dans un rapport de fer de lance avec le réel, ce qui est vraiment appréciable, et ses multiples combats d'aujourd'hui ne sont pas du fake, ce n’est pas juste du game, c’est réel.

Quand il m’a appelé pour me demander d’écrire quelque chose pour les élèves de sa première promotion de l’École du Nord, j’ai demandé à les rencontrer. J'écris essentiellement pour les acteurs, je n'ai jamais d’idée de pièces, je n'arrive pas avec un projet, je rencontre les gens... Et je les ai beaucoup aimés !
Ils m'ont fait la même impression que lorsque je rencontre de jeunes acteurs à travers le monde, qui sont toujours animés par des questions et une forme de fraîcheur vraiment bienvenues. J'ai trouvé la même chose chez eux, sans prétention, sympathiques, souriants, jovials… Et moi, j'aime la joie.

Vous avez déjà beaucoup travaillé avec de jeunes acteurs ….

J'ai fait une production pour le Festival d'Automne qui s'appelait 8 Ensemble (2021) pour laquelle j'ai rencontré 1017 jeunes acteurs. C'était juste après le Covid, tout le monde était dans une nécessité de travail, le casting a été colossal alors que je n’en gardais que huit. Que ce soit avec ces jeunes, ou avec les élèves du TNS pour qui j’ai écrit Mont Vérité, ou ceux du TNB pour qui je viens d’écrire Dreamers, ou à travers ceux avec qui je travaille à Princeton University à New York, j’ai réalisé depuis quelques années en France et à l'étranger une sorte de scan d'une génération qui a entre 18 et 25 ans aujourd’hui. Et c'est juste génial ! Ils sont plus jeunes que mon propre fils, qui a 30 ans, c’est une génération que je connais assez bien par ses copains, une génération que j’aime beaucoup. J’ai donc dit à David : « je crois qu’on va y aller ». Et c’est ce qu’on fait. 

 

Qu'est-ce que vous avez eu envie d'écrire après les avoir vu.e.s ?

 

D’abord, on parle beaucoup ensemble, je les écoute. J'adore faire des séances qui s'appellent « Parler ». On pourrait presque ne faire que ça. Je le fais avec les acteurs aussi. J’aime beaucoup parler de tout et de rien, parce que les points d'impact des vies de chacun tout à coup apparaissent dans des discussions anodines, et très vite, moi je m’engouffre. Je n'écris jamais sur des éléments autobiographiques des acteurs mais j'écris des choses qui sont écrites pour eux, cousues sur l'énergie de chacun, ce rapport d'énergie entre les seize corps, les seize tessitures, les seize backgrounds… Je pense que toute vie est intéressante même celles de jeunes gens, qui me disent parfois : « Ah, mais j’ai 22 ans, comment je peux raconter ce que j'ai fait dans ma vie ? ». Or 22 ans, c'est énorme.
Après ce temps d’écoute, je les oublie ; ce qui se dépose, se dépose. Et puis je leur demande aussi d’écrire, je leur dis : « Raconte-moi ta vie depuis que t’es né jusqu’à maintenant ». C'est impossible à faire évidemment, on ne peut pas raconter sa vie mais dans cet écueil, apparait ce que je vais faire par la suite. Le montage ne correspondra en rien à ce qu'ils m'ont raconté, car je vais prendre quelque chose chez l’un que je vais mettre dans une histoire chez l'autre. Ça fait quarante ans que je travaille comme çà. Je les ai vu jouer dans Fées et une fois que je les ai vu.e.s dans l’espace, que j'ai écouté leurs histoires, que j'ai lu leurs emails, qu’ils m'envoient à toute heure du jour et la nuit, je commence à voir un paysage qui se dessine. Je peux commencer à travailler.

Quel est le sujet de cette pièce ?

Je ne fais pas des pièces à thème, ni à sujet. Je raconte des vies qui se croisent, des moments d'intensité entre les gens. Seizeaucentre, je sais pour l’instant que c'est un groupe de jeunes acteurs qui tournent un film avec l’un des leurs, qui est apprenti ou jeune cinéaste. Le tournage de ce film, court ou moyen métrage - ce n’est pas vraiment précisé pour le moment - se passe à l'intérieur d’une patinoire lors d'un entraînement ou d’une session de hockey sur glace.
On assiste à la fois aux histoires réelles du tournage, des scènes que l'on voit, et tout ce qui se passe autour, avec les relations entre chacun, les micros histoires qui se croisent entre le réel d’un tournage, la fiction elle-même qui se tourne, la vie à côté, les appels téléphoniques …
Quand les téléphones portables sont arrivés dans l’espace public, tout le monde s’est plaint mais pour moi c’est un plaisir absolu d’écouter les conversations, de les suivre dans la rue… J’envisage même d’écrire pour Audrey Bonnet une longue conversation téléphonique… Quand on prend un appel, chez soi généralement on marche, on fait autre chose en même temps, il y a un rapport au corps que j'adore et oui pour tout ça, je vais beaucoup utiliser les téléphones portables, comme je l’ai fait récemment pour la création au TNS avec Mon Absente. Ce recours aux téléphones me permet aussi de sortir du lieu. Toutes mes pièces se passent là où elles se passent. C'est du temps réel qui se déroule devant nous. Là c'est pareil. On est face à un vrai tournage avec tout ce qui se passe en dehors des prises, la préparation avant les prises, pendant les prises, les connexions qui se font ou pas toujours, ce rapport très fort à la langue et tous ces éléments aussi qui sont de l’ordre de la pensée…

L’idée de la patinoire, cet univers du hockey, le tournage, c'est quelque chose qui vous est venu en les voyant ou c'est ensemble que vous l’avez imaginé ?

 

C'est la grande salle ! Je ne sais pas pourquoi : j’avoue que j'ai renoncé à savoir comment les choses arrivent. Certains des élèves m'ont dit qu’ils faisaient du cinéma, qu’ils faisaient des microfilms et je les ai trouvés très contemporains dans leurs corps, leurs rapports et finalement assez peu théâtraux !  Je les ai trouvés plutôt curieux, souples, ouverts. Lavés. C’est ça qui sans doute a fait que j’ai eu envie d'un rapport sportif au jeu… D’abord parce que ces habits de hockey sont théâtralement magnifiques. Ça raconte beaucoup de choses quand vous les mettez, quand vous les enlevez, la peau humaine qui se cache pour se protéger et qui se rhabille entièrement, là je peux tirer huit mille fils….

 

Comment montrer ça au plateau ?

En frontal, le public est dans la salle, les acteurs sont microtés. J'adore les bancs de touche, je vais créer pas mal de bancs de touche sur les côtés du plateau. J’ai fait récemment le constat suivant : quand j'étais au collège, tout le monde faisait du foot le mercredi après-midi et moi je détestais ça. Au bout de trois minutes, j'étais éjecté du terrain - à ma grande joie - et je me retrouvais sur le banc de touche, là où se trouvaient toutes les filles puisqu'à cette époque-là, les filles ne faisaient pas de foot. Et pendant que j'étais sur le banc de touche avec elles, j'ai pu écouter de la sixième à la troisième, leurs conversations auxquelles je n'avais pas accès dans le monde ordinaire. Et je pense que je suis devenu écrivain grâce à ça. Je suis devenu écrivain pour ouvrir un espace où on entend bien les filles qui parlent. C'est vrai que j'adore écrire pour les actrices parce que ce sont de vraies combattantes à tous les endroits… C’est quand même quelque chose d’écrire pour qui on n’est pas…

 

Quel est votre processus d’écriture pour ces deux heures de jeu au plateau ?

J’écris toujours plusieurs pièces en même temps, le matin avant les répétitions et le soir après les répétitions… Quand on travaille avec des acteurs japonais, ils ont une très belle expression qui dit : quand on répète, on suit la lumière du jour. L'écriture, ç’est un peu ça. Moi, je ne fais pas de plan.
Je prends les photos de tous les acteurs, je les ai fait imprimer. J'ai un rouleau de scotch dans ma valise et je les emporte partout où je loge dans mes voyages et je colle sur les murs les photos sur des feuilles A4. Il y a presque un effet médiumnique. Le fait de voir leurs visages, je ne les oublie pas. J'essaie de construire une pièce où tout le monde a des choses intéressantes à jouer. Il n'y a pas de premier rôle et c'est une vraie tentative à chaque fois de faire en sorte que tout le monde soit vu. C'est très important pour ces jeunes comédiens qui seront peut-être vus par des professionnels, là dans Seizeaucentre puis ensuite dans leur spectacle de sortie. On espère tous, puisque ce métier est impardonnable et totalement injuste, qu’ils puissent travailler le maximum au plus vite et faire ce qui est de plus beau dans la vie, à savoir ce que l'on veut faire. C’'est quand même ça la beauté d'un geste avec des jeunes acteurs et spécialement ceux-là.

 

Propos recueillis le 4 mai 2023 pour le Théâtre du Nord

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